Cet article a été écrit par Laurent
Club des tueurs – 2ème soirée – vins du XIXème à Châteauvieux
Barth: Vendredi 2 septembre 2011 à Châteauvieux. Encore une soirée attendue de longue date. Encore une soirée aux folles promesses et dont les participants ont l’agréable sentiment de se sentir une fois de plus extrêmement privilégiés. Encore une soirée extraordinaire. Nous voici donc réunis, Benito, Graziella, Laurent, Carmen, Emilio, Marimar, Benjamin, Pierre, Benoît, Patrick, Pascal et moi pour un long voyage dans le temps qui nous fera traverser les siècles. XXe, XIXe surtout, ainsi qu’un aperçu du XVIIIe sont au programme. L’agape aura était consciencieusement élaborée par Philippe Chevrier sur les suggestions culinaires de Laurent, Patrick et Pierre. Un grand merci à eux de s’être occupés de la logistique des bouteilles. Un grand merci aussi à Pascal qui, pour chaque millésime bu, aura imprimé les faits marquants de l’année. Ainsi, notre machine à remonter le temps n’en aura été que plus performante encore. Sur une proposition de Pierre, nous débutons la soirée, en attendant les retardataires (ou Le retardataire devrais-je dire) par deux bouteilles de champagne qui auront l’incroyable mérite de nous mettre en appétit.
Laurent: Les bouteilles de la soirée auront été apportées principalement des caves personnelles de Laurent, Pierre, Patrick et Benoît. Merci donc à ces personnes qui ont accepté de vendre leurs vins au prix d’achat ! L’histoire de cette soirée est en fait un concours de circonstances dont le point de départ est l’achat du Yquem 1861. A ce moment seulement, l’idée nous est venue de monter ce repas hors du temps. Nous y avons mis notre temps et notre passion pour en faire un moment unique pour une grande majorité des gens présents. Nous n’avons pas voulu mettre de vins rouges dans cette soirée pour deux raisons principales: le prix et l’authenticité des Bordeaux du XIXe et aussi le fait que nous avions déjà en partie des vins liquoreux du XIXe et qu’on préférait rester sur ce thème.
Champagne Bollinger, Grande Année, 1999
Laurent: Nez d’écorce d’arbre, légèrement fumé avec des notes de figues. Les bulles sont bien présentes, mais je trouve qu’elles manquent de finesse et d’élégance. C’est plaisant, bien équilibré, mais en dessous du 1996 dégusté quelque temps auparavant. Une bonne mise en bouche pour attaquer cette soirée.
Barth: D’une belle robe encore argentée dont les reflets verts laissent une place de choix aux jeux de lumière, les cordons de bulles surprennent par leur finesse et leur régularité. Le nez est précis, fin, sur les fleurs blanches, mais sans intensité. L’attaque est toute en finesse avec des notes de pommes fraîchement coupées, qui, dans la longueur, se métamorphosent en arômes de petites noisettes râpées. La fin de bouche, gourmande, révèle ensuite des amandes grillées, presque caramélisées. Deux très belles bouteilles dont les richesses empyreumatiques m’auront séduit.
Pour accompagner le premier vin, un tartare de langoustines aux condiments, caviar premier cru « Zwyer », huître Gillardeau no 3 en gelée d’eau de mer. Ce premier plat était difficile, car nous ne savions pas si ce blanc était sec ou liquoreux même si la dernière option était la plus probable.
Blanc de Carthage 1896
Année 1896: Naissance d’André Breton et décès de Paul Verlaine et d’Alfred Nobel. Couronnement de Nicolas II à Moscou. Création du Dow Jones. Madagascar devient colonie française. Création de la CGT à Limoges.
Laurent: couleur café. Nous ne savions pas à quoi s’attendre avec cette bouteille magnifique et intrigante. Une fois le liquide dans le verre, on se retrouve avec des arômes de mandarine impériale confite, de pruneau et de cire d’abeille. Avec le temps, il commence à perdre de la vigueur et des notes amères font leur apparition. En bouche, le vin se tient divinement bien et il démontre toute sa richesse et sa puissance. Il y a une belle acidité qui tient la structure du vin parfaitement. Les arômes virevoltent dans le verre et donnent une complexité incroyable à ce vin. On passe des agrumes, de la mandarine, des figues et des abricots aux notes de torréfaction et de crème brûlée. Une énorme surprise et un vin de toute beauté. Bel accord avec le plat d’huître.
Barth: La soirée commence réellement avec ce flacon, dont l’étiquette, illisible, témoigne des affres du temps. J’aime cette couleur ambrée, dense, qui s’étiole sur les bords du disc en de fins reflets tuilés. D’un premier nez étonnement riche se dégage une palette d’arômes pétroleux, gras, qui donne l’eau à la bouche. Se développe ensuite un nez d’agrumes, dont les plus perceptibles sont sans aucun doute la pâte de coing et la mandarine. Le pruneau n’est pas en reste et se combine admirablement à un côté vernis à ongles… L’équilibre entre toutes ces sensations est remarquable et est soutenu par une fraîcheur marquée. En bouche, le vin frappe par sa fraîche acidité qui maintient droit la douceur apportée par le sucre. Magnifique longueur. Le mariage avec les côtés iodé et salé des huîtres est une réussite totale. A noter qu’après une vingtaine de minutes le nez se disperse et meurt.
Avec les deux portos qui suivent, nous avons pensé à une déclinaison de turbot. Pour le Tordiz: Turbot sauvage d’Arcachon rôti, escargots « Petit Gris » aux girolles, émulsion à la tomate et au thym.
Porto Burmester Ultra Reserva Tordiz 1876
Année 1876: Décès de George Sand. Le gouvernement des Etats-Unis ordonne le déplacement de tous les Amérindiens dans des réserves. Le gouvernement japonais interdit le port du sabre et du costume traditionnel. Début de la crise du phylloxéra dans les vignobles français.
Laurent: On attaque notre premier Porto avec un Tordiz (Le nom de ce Vin de Porto Tawny, dérive de la confluence des fleuves Torto et Mendiz). Le nez est au premier abord très alcooleux et rapidement il va s’adoucir avec des notes de pétales de roses et de bouillon. La bouche reste riche et iodée. Il y a une belle longueur même si le final est amer. On a des notes de moka en rétro-olfaction.
Barth: Une couleur rougeâtre dense, peu plaisante, mais limpide, avec des reflets d’un brun bois foncé. Le nez est alcooleux, sur la noix sèche, légèrement oxydé. La puissance de l’alcool m’empêche de saisir l’éventuelle complexité aromatique et me le fait paraître simple. En bouche, il étale sa toute-puissance, traduite par une chaleur excessive et déséquilibrée, avant de s’évanouir sur des notes amères et peu avenantes. Intéressant.
Avec le vintage le turbot sauvage d’Arcachon et accompagné d’encornets farcis, sauce au vin rouge.
Porto Burmester Vintage 1890
Année 1890: Guillaume II d’Allemagne impose des tribunaux d’arbitrage, le repos hebdomadaire, de meilleures conditions de travail dans les mines et la protection des femmes et des enfants. Début de l’aviation avec le premier vol d’un engin plus lourd que l’air, réalisé par l’ingénieur français Clément Ader qui réussit à élever sa machine à 20 centimètres au-dessus du sol et à parcourir 50 mètres.
Laurent: Nous avions dégusté une bouteille de Burmester Reserva Novidade 1890 lors de notre 6e tuerie à Porto et le moins que l’on puisse dire et que la bouteille avait été magnifique. Celle-ci commence avec un nez surprenant de clou de girofle et de citron. La bouche est à la première gorgée un peu décevante, mais avec une aération de quelques minutes, il reprend vie et commence à s’ouvrir. A ce moment, on sent de la fraîcheur et de la jeunesse Une belle longueur qui finit sur des notes moelleuses. Bon, mais en dessous de la bouteille bue à Porto.
Barth: D’une belle limpidité, le liquide ambré reste lumineux et s’éclaircit au contact des bords du verre. La déclinaison colorimétrique sur l’orangé terre cuite est magnifique. Un premier nez discret, presque calme, qui s’ouvre très lentement, petit à petit et avec une grande élégance. Cela en devient presque un jeu que de découvrir quelle sera la prochaine sensation perçue. D’abord timide, il se révélera riche et complexe avec une gamme complète d’agrumes et de fruits secs. La bouche est moelleuse, mais en finesse, avec une fraîcheur magnifique. Une grande bouteille.
Porto Quinta do Noval J. da Silva & Ca Lda 1855
Année 1855: Une épidémie de peste bubonique se diffuse dans le monde à partir d’un foyer situé en Chine. Il s’agit de la troisième grande pandémie répertorié dans l’histoire après celles de 541 et de 1346. Guerre de Crimée. Buda et Pest comptent 100 000 habitants. Le général Niel devient l’aide de camp de Napoléon III. Etablissement de la classification officielle des Vins de Bordeaux.
Laurent: La première question qui nous vient à l’esprit et de savoir si cette bouteille est un Nacional ou pas… Au vu de l’année, on peut penser que de toute façon la vigne était préphylloxérique. Nez d’une belle homogénéité et d’un beau soyeux. Le 1er nez est potager avec du cerfeuil, du thé et du pain d’épice. Le deuxième nez est plus sur les fruits rouges, dont la framboise et la cerise. En bouche, c’est superbe et probablement une des plus belles bouteilles bues jusqu’à maintenant en Porto. Il est élégant, rond et harmonieux. Le vin est tout en souplesse avec une longueur infinie. Un grand moment d’émotion.
Barth: Le liquide, d’une belle brillance, se pare d’un beau jaune d’or, intense, avec une robe ambrée, tirant légèrement sur l’orangé. Le nez est très fin, subtil, laissant naître de doux arômes de pommes qui disparaissent aussitôt pour laisser place à du romarin, du thé vert et de l’eucalyptus. La gamme aromatique semble vivante et les flaveurs se succèdent les unes aux autres avec complexité. L’attaque est douce, d’une élégance rare et s’amenuise en douceur. Parfait équilibre où l’on ne sent pas l’alcool. L’acidité présente, mais sans excès avoue une fraîcheur de second ordre et est accompagnée par un soyeux et une matière parfaitement intégrée. Très belle longueur en bouche. On retrouve en fin de bouche la première pomme avec peut-être des épices. Un magnifique flacon du temps du classement des crus bordelais !
Le dernier porto sera bu avec la fin du turbot et le début du risotto acquarello aux cèpes et jambonnettes de grenouilles, au jus de persil. Ce plat est surprenant avec le porto et se mariera très bien. Les cuisses de grenouilles avec l’élégance du Porto sont un accord parfait pour moi. On finira d’ailleurs le plat avec le vin de Palerme. Quoi de plus normal qu’un risotto pour un vin italien
Vin de Palerme 1882 (2e bouteille)
Année 1882: Naissance de James Joyce et d’Igor Stravinski. L’architecte espagnol Antoni Gaudi commence l’église Sagrada Familia à Barcelone. Mise en fonctionnement de la première centrale électrique construite par Edison. Premier système d’éclairage public électrique à New York. Arrivée du mildiou en France et en Europe.
Laurent: La première bouteille qui était au niveau vidange sera comme nous l’avions supposé bouchonnée et imbuvable. La deuxième qui était dans un bien meilleur état et d’un niveau fort respectable sera légèrement différente. Je pense que le vin a lui aussi été touché par le bouchon. Des notes de carton et de chien mouillé remplissent notre odorat. La bouche est acide et manque de structure. Il semble aigre et n’est pas du tout au niveau des autres bouteilles bues de ce vin (nous avions acheté un lot de plusieurs bouteilles). Je l’ai regoûté le lendemain et celui-ci aura fortement évolué vers un vin plus plaisant et buvable. Est-ce la différence avec le porto 1855 qui l’a complètement annihilé ? Est-ce que le possible liège aurait caché la qualité de ce vin ? Néanmoins, on ne va pas fantasmer sur ce vin cette nuit….
Barth: Le brun de la robe étonne par sa brillance et ses reflets dorés. Le nez est plus problématique, avec des odeurs de moisissure, de drap humide et de pelage animal mouillé. Ces arômes tertiaires ne sont pas plaisants. En bouche, l’alcool est trop nettement présent, les tannins sont verts et la fin de bouche asséchante. La bouteille serait-elle bouchonnée ?
Sauternes Château d’Yquem 1861
Année 1861: Naissance de Rudolf Steiner fondateur de l’anthroposophie. Le Congrès Américain propose un amendement à la Constitution, destiné à garantir aux États qu’il pourront maintenir l’esclavage. Début de la guerre de Sécession. Le tsar Alexandre II abolit le servage en Russie. Toutes les préfectures de France sont reliées à Paris par le télégraphe électrique, utilisable par le public.
Laurent: Voici enfin le clou de la soirée. Une bouteille que Pierre nous avait cédé et qui vient directement de sa collection. L’étiquette est en très mauvais état. Le niveau est très correct et la couleur est magnifique. Nous sommes face à un vin noir ! Une première pour beaucoup d’entre nous… Le nez est extrêmement complexe et on passe des notes de mine de crayon, au pain d’épice ou encore aux figues noires, aux dattes égyptiennes ou encore à une réduction de balsamique. C’est très dense et velouté. En bouche, nous sommes désorientés avec ce côté sirupeux, cette concentration extraordinaire, ces notes de torréfaction, de figue et de caramel. C’est énorme ! Un grand moment d’émotion.
Barth: Incontestablement l’une des bouteilles les plus attendues de la soirée. A regarder mon verre, je me demande si ce vin n’a jamais été un vin « blanc » ! Le centre du liquide est noir ébène et ne laisse pas transparaître le pied du verre. Le vin tourne majestueusement sur les parois et ne se lasse pas de perdre de grasses et denses queues filantes qui retombent lentement dans la masse. Impressionnant. Le nez est d’une richesse extraordinaire. Les arômes tertiaires, de l’ordre du goudron, de la réglisse et du pain d’épice se mêlent paradoxalement à ceux aériens de pétales de rose et de fleurs des champs séchées. D’une intensité sans égal. En bouche, c’est sirupeux, dense, complexe, riche, puissant et concentré. Une goutte (une seule) suffit à obtenir plusieurs longues minutes d’explosion de saveurs… c’est tellement concentré que ça en est presque écœurant. La persistance aromatique est prodigieuse. C’est un monstre. Un monstre sacré.
une pause lors du sauternes, on continue avec la farandole des plats: consommé de volaille de Bresse Miéral, raviole de cuisse confite à la truffe d’été. Un délice gustatif et qui allégera un peu notre estomac déjà bien rempli !
Jacques Selosse Lieux-Dits Le Mesnil sur Oger les carelles non millésimé
Laurent: Un champagne parcellaire que nous avons mis juste après l’Yquem pour nous rafraîchir les papilles gustatives comme dirait un ami d’Arcachon. Le nez est frais et montre une belle jeunesse et de la fougue. Une dominance de pomme blette. La bouche reste sur cette jeunesse et cette fougue, mais il nous semble encore trop marqué par une acidité et une verdeur étonnante. Nous sommes tous déçus de cette bouteille qu’il est vrai n’a pas été mis en valeur par sa présence à cet instant. Je pense que c’est un vin à garder longtemps en cave.
Barth: Après une telle intensité, il est évident que nous avons tous besoin de nous rafraîchir les papilles avec quelques bulles. Selosse étant l’un de mes producteurs préférés de champagne, ma déception est à la hauteur de mes attentes. Le jaune d’or est fluet, mais d’une belle brillance dans le verre avec quelques reflets rougacés. L’intensité aromatique est faible, sur la pomme blette et simple. Les bulles sont fines, précises, et apportent une fraîcheur agréable. Le vin est trop jeune et beaucoup trop stressé, donc pas du tout à son avantage. La faute est certainement nôtre avec cette infanticide, mais il est étonnant qu’un producteur de l’envergure de Selosse commercialise des bouteilles d’une telle jeunesse.
Pour faire honneur aux vins de Madère, le choix a été de partir sur une grouse d’Ecosse à la purée de céleri et noisettes grillées, crème aux abatis. Je dois avouer que je tenais à avoir cette volaille qui est légèrement iodée et forte. L’accord avec le côté oxydatif des madères sera parfait. On ne pouvait rêver mieux pour ce plat. On finira d’ailleurs la dernière bouteille de Madeira avec le plateau gargantuesque de fromage.
Solera Extra Reserva Madeira Blandy’s 1792 (mise de 1957)
Année 1792: Décès de Léopold II empereur du Saint Empire. Déclaration de guerre de la France à l’empereur d’Autriche. La Prusse en fait de même contre la France en vertu de l’accord austro-prussien. Les troupes françaises envahissent le duché de Savoie. Proclamation de la République française le 22 septembre. Création de la bourse de Wall Street. Le Kentucky devient le quinzième état de l’union américaine.
Laurent: Une bouteille mythique dont j’ai eu la chance d’acquérir deux exemplaires. Je ne vais pas m’étendre sur l’histoire de cette solera exceptionnelle puisque Barth en a déjà expliqué les grandes lignes. La mise en bouteille de ce fût a en fait été fait pour la visite d’Elisabeth II à Madeire en 1957. 1’228 bouteilles auront été faites lors de ce dernier embouteillage. Je tiens à préciser que les Soleras portugaises sont souvent plus fiables que les soleras espagnoles (qui ont d’ailleurs l’exclusivité puisqu’aujourd’hui eux seuls peuvent utiliser ce terme) dont l’utilisation abusive en devient presque ridicule. Revenons à cette bouteille. Nez de torréfaction, de chrome et de soufre d’allumette au départ. Le nez s’améliore avec le temps et des notes oxydatives font leur apparition, dont la noix. La bouche est incroyable, la structure bien équilibrée et une belle longueur. Nous sommes face à un Madeire tout en finesse et d’une qualité indéniable.
Barth: Cette bouteille, la doyenne de la soirée, nous aura été présentée par Pierre, dont les pupilles brillaient de mille feux en nous racontant l’histoire de cette incroyable bouteille. La barrique fût achetée par Napoléon Ier en 1815, alors que, fait prisonnier par les anglais, il s’apprête à rejoindre sa prison de l’île de Saint-Hélène. A sa mort en 1821, son geôlier la récupère et la revend aux enchères à Finham ( ?) en Angleterre en 1840. Un prince français dont le nom m’échappe la rachète avant que celle-ci ne finisse dans les mains de la Couronne d’Angleterre qui la fait embouteiller en plusieurs fois et dont la dernière mise remonte à 1957. Voilà pour l’Histoire, avec un grand H. Le liquide est légèrement opaque, tirant sur le jaune brun clair, sans brillance aucune. Le nez me rappelle des grands vins jaunes du Jura. Sur l’oxydatif, on y retrouve la noix séchée et les abricots secs dans une belle intensité. La bouche est légère, voire fluette, avec une première puissance liée à l’alcool qui s’estompe rapidement pour laisser place à une belle torréfaction et une prédominance de café arabica. La suavité est fine et sans lourdeur et se voit soutenue par une timide acidité. Une grande bouteille sans hésitation.
Madeira Blandy’s Verdelho Grand Reserve Vintage 1805
Année 1805: La République italienne devient le royaume d’Italie, Napoléon devient roi d’Italie. Napoléon projette d’envahir le Royaume-Uni avec 200 000 hommes et 2 500 navires puis abandonne cette idée. Guerre de la France contre la coalition austro-russe. Victoire de Napoléon Ier à Austerlitz, contre la coalition austro-russe. Le docteur René Laennec invente le stéthoscope.
Laurent: Cette fois-ci on attaque un vintage. Une bouteille qui a plus de 200 ans ! Le nez est plus complexe que le précédent vin et donne à ces arômes des notes intéressantes et plaisantes de chocolat blanc, de sauge, de fraise « firmenich » et d’eucalyptus. En bouche, nous avons une fois de plus une très grande finesse sans aucune agressivité. Un bel équilibre qui tient le vin à un niveau fantastique. Je suis réellement surpris par la qualité des deux derniers Madeiras et de leur finesse extrême. On se régale.
Barth: D’une couleur intense et d’un rougeâtre brillant, le vin tire gentiment sur les orangés tuilés. Vu son âge honorable se serait pécher que de le lui reprocher. Le nez est particulier. Benoît m’accorde sa bénédiction lorsque j’y décèle nettement de la fraise des bois, presque de marque Haribo et fraîchement sortie du laboratoire. C’est agréable et désagréable en même temps. La bouche est doucereuse, quasiment trop, mais s’équilibre en fin de bouche avec une acidité presque citronnée. J’aime beaucoup cette singulière bouteille.
Madeira Reserva Verdehlo D’Oliveira 1850
Année 1850: La population mondiale atteint 1,1 milliard d’habitants. Décès d’Honoré de Balzac. Débuts de l’éclairage au gaz dans les villes en Espagne. Ruée vers l’or en Californie. Début de la viticulture en Californie. Arrivée de l’oïdium en Europe qui ravagea trois récoltes successives au début des années 1850.
Laurent: Une bouteille que j’ai achetée chez le producteur et qui a été mise en bouteille dans les années 60. Nez de chocolat, de torréfaction et de caramel. Il est beaucoup plus puissant que les deux dernières bouteilles. Superbe et on ne se lasse pas de revenir sur ce beau nez. La bouche est riche, puissante et ne dévie par de sa trajectoire. Contrairement aux deux autres Madères, celui-ci a une petite amertume en milieu de bouche et une pointe alcooleuse en fin de bouche empêche cette bouteille d’être au même niveau que les précédentes. Nous sommes néanmoins sur une très belle bouteille.
Barth: Brun foncé, nettement sur le déclin et sans aucun reflet, ce vin semble éteint. Le nez est sensiblement alcooleux et recèle des notes verdâtres que je n’apprécie que peu. L’acidité volatile est flagrante à mes yeux, mais ça ne semble déranger personne autour de moi. La bouche est inversement proportionnelle au nez, avec une complexité et une richesse étonnante. Le café-vanille-chocolat au lait est très présent, mais cette trop forte torréfaction reste malgré tout tendue et étonnamment sans lourdeur. La noix se fait une place de choix et la bouteille reste excellente.
On commence enfin les desserts. Tuile craquante, abricots poêlés au miel et aux pignons de pin torréfiés, glace infusée au romarin.
Vin de Chypre 1845
Année 1845: Karl Marx est sommé de quitter Paris à cause de ses activités révolutionnaires. Début de la Grande famine en Irlande. Crise économique en Europe, due à de mauvaises récoltes de céréales aggravée par une épidémie touchant la pomme de terre. Début de la guerre américano-mexicaine. Victor Hugo commence à écrire ce qui deviendra Les Misérables.
Laurent: Un vin que j’attendais avec impatience puisque François Audouze en parle régulièrement et qu’il le considère comme une de ces grandes émotions. La bouteille provient de la cave de Pierre et je l’en remercie. Le nez n’est pas très accueillant avec de la laine mouillée au départ. Ensuite des notes de tilleul et de tisane donnent à ce nez un côté floral déroutant. En bouche, le vin est intéressant, mais en dessous de nos attentes énormes bien évidemment. Il y a beaucoup d’acidité et il manque une colonne vertébrale à ce vin. Je le trouve un peu dilué et probablement loin du niveau des autres bouteilles de Chypre bues par François et Pierre. Une expérience sans toutefois déchainer les passions. N’oublions quand même pas que cette bouteille à plus de 150 ans !
Barth: Il s’en passe des choses en Europe et dans le reste du monde alors que des vignerons s’affairent à nous produire ce flacon ! La couleur est d’un marron clair magnifique qui rappelle les caramels au lait faits maison. Le Ier nez est peu expressif. 15 minutes plus tard, l’ouverture, faible, s’est faite sur des arômes aériens de conifères, d’herbe mouillée fraîche et de fumée de cheminée. La bouche est trop acide avec une finale astringente qui dérange. La bouteille est intéressante, mais décevante.
On finit le repas avec un dernier dessert (et les mignardises qui suivent ainsi que le cigare !). Palet au fromage blanc et citron vert, cigarette farcie aux figues fraîches, glace au miel. J’imagine que ce plat aurait été parfait avec le Tokaji si celui-ci avait été buvable…. Dommage.
Tokaji 1860
Année 1860: Naissance de Gustav Mahler compositeur et d’Anton Tchekhov écrivain russe. La ville de Jérusalem compte environ 15 000 habitants. Les troupes franco-britanniques prennent la capitale chinoise, Pékin. Premier code pénal en Inde. Le républicain Abraham Lincoln est élu président des Etats-Unis. Les Autrichiens évacuent la Sicile. Victor-Emmanuel II cède la Savoie et Nice à la France.
Laurent: Nous voulions avoir une bouteille de Tokaji pour cette dégustation et après avoir loupé deux fois des ventes à Amsterdam et à Paris (si je ne me trompe pas), nous avons décidé d’acheter cette bouteille à Hong-Kong lors d’une vente Christie’s. Ce qui est sûr, c’est que cet achat aura été le premier et probablement le dernier sur le sol asiatique…. La bouteille est belle et le niveau correct. Au nez, des odeurs de produits chimiques attaquent notre organe sensoriel. Il ne me semble pas y avoir de problèmes de bouchon. La bouche est imbuvable. Est-ce une vraie bouteille ? Est-ce que le vin a pris un coup de chaud prolongé et le vin s’est détérioré ? Je n’en sais rien, mais la déception est grande puisque nous finissons sur cet échec. La vie des amateurs de vins n’est pas évidente et parfois il faut accepter la défaite
Barth: Bouteille dans un état irréprochable… et vu son âge ça le devient. Toute la discussion tournera autour du fait de savoir si c’est une bouteille authentique ou pas, etc… Je pense que non. Je suis même d’avis de se renseigner auprès du vendeur, une maison célèbre et respectée, sur les conditions récentes (moins de 20 ans) de re-embouteillage, étiquetage, etc… Le jaune d’or a viré à un tuilé éteint et sans brillance aucune. Le nez s’ouvre sur du cuir de besace mouillé puis sur de l’épiderme de cheval en sueur. La bouche est ultra-acide avec des goûts très nettement chimiques. Une vraie déception.
Barth: Je profite de ces quelques lignes pour remercier toute l’équipe de Châteauvieux pour le service et l’accueil d’une grande qualité. La succession des plats et des bouteilles s’étant faite dans la joie et la bonne humeur, décision est prise de remettre cela pour le mois de mai prochain… Je me réjouis déjà !
Laurent: Un repas somptueux et des vins hors-normes, une équipe sympathique et des serveurs attentionnés. Que demander de plus ? Je pense que le mariage entre les plats et les vins a été une réussite. La qualité des vins, à part une ou deux exceptions, a été au rendez-vous. Je respire mieux et la pression est redescendue. Il va falloir penser la prochaine session qui aura lieu en 2012…
1 Comment
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Go6s - 2 novembre 2011
Waow !
Je n’ose imaginer cependant la déception face à des bouteilles défectueuses de cet acabit…et de ce prix surtout !